Interview de Sonia Fiquet, autiste et cheffe d’entreprise
Épisode 2
Bienvenue dans l’univers de Singulières Plurielles, le podcast des femmes qui redéfinissent l’entrepreneuriat par-delà les conventions de la « neuroconformité ».
Je suis Marie-Laure Bourgeois et à chaque épisode, je vous propose d’explorer l’univers incroyable de l’entrepreneuriat au féminin.
Dans ce podcast vous retrouverez des témoignages de femmes chefs d’entreprise qui cassent les codes de leur profession et qui expriment différemment leur talent au quotidien. Vous entendrez aussi des mots doux, des billets d’humeur, des discussions thématiques et parfois même des digressions poétiques.
Dans cet épisode, j’ai le plaisir de recevoir Sonia Fiquet, une femme incroyable à la vie incroyable. Nous évoquons son parcours personnel et professionnel, les difficultés, notamment relationnelles, qu’elle rencontre tout au long du chemin et la découverte de son autisme à 51 ans. Sonia nous parle également longuement de l’organisme de formation qu’elle a créé et du programme « HPI/TSA mode d’emploi » qu’elle a conçu pour permettre aux personnes présentant cette double exceptionnalité de mieux se connaître et de vivre mieux. Pour déployer ce parcours de formation et le rendre accessible à un plus grand nombre de personnes concernées, Sonia a lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme Leetchi. Sonia nous explique aussi pourquoi chaque don est important. Ci-dessous la retranscription de nos échanges, je vous souhaite une bonne écoute !
Sonia Fiquet, autiste et cheffe d’entreprise
Marie-Laure : Sonia, je vous reçois dans ce podcast parce que vous êtes une femme entrepreneur singulière. Vous êtes aussi l’auteur d’un livre dont nous allons parler dans cet épisode, mais avant d’être entrepreneur et auteur, vous avez eu mille vies. Je le savais déjà parce que nous avions déjà échangé il y a quelques mois, je l’ai redécouvert en lisant votre livre « La vie presque ordinaire d’une femme HPI/TSA, ces autistes que personne ne voit ».
1000 vies donc, en commençant par une vie d’enfant et d’adolescente en décalage, souvent dans la provocation. Une vie de femme également en quête du grand amour que vous avez fini par trouver. Une vie de maman aussi, maman atypique, d’enfants atypiques
Et puis un parcours professionnel incroyable : vous avez été animatrice, formatrice, chargée de mission, coordinatrice gérante d’un restaurant.Vous avez également été Présidente d’association, Vice Présidente de la CCI du Vaucluse. Vous avez beaucoup oeuvré pour l’insertion professionnelle et la création d’entreprises, notamment auprès des missions locales et des acteurs économiques et territoriaux.Une implication sociale et professionnelle qui vous a amenée, un temps, à vous engager en politique. Depuis trois ans, vous êtes présidente de la société Kiffer Sa Vie, conférencière et toujours formatrice en communication relationnelle.
Vous accompagnez des personnes cumulant un TSA et un HPI, c’est-à-dire, l’autisme et le haut potentiel intellectuel. Vous aidez ces personnes à comprendre leur double exceptionnalité pour vivre mieux avec elles-mêmes et avec les autres. Vous avez d’ailleurs créé un programme de formation dédié à cette particularité. Ça s’appelle HPI/TSA, mode d’emploi et nous en parlerons plus en détail, car cette formation fait en ce moment l’objet d’un financement participatif, afin qu’elle devienne accessible au plus grand nombre.
J’en ai fini de mon Introduction Il y aurait tant à dire tellement. Votre parcours est incroyable, mais justement parce qu’il y a tant à dire et parce que nous avons de nombreux points à aborder, je m’arrête là et je vous laisse la parole pour vous présenter avec vos mots et compléter ou préciser des points que vous auriez envie de détailler.
Sonia Fiquet : Merci Marie-Laure, je trouve qu’il est déjà bien complet, donc effectivement, j’ai 55 ans, je suis maman de trois enfants, très importants dans ma vie.
J’ai découvert mon autisme toute seule
J’ai découvert mon autisme à 53 ans, je l’ai découvert toute seule, c’est important de dire ça, ça faisait des années que je vivais, ce décalage que je ne comprenais pas, que j’allais voir des psychologues, des psychiatres… J’en ai vu beaucoup dans ma vie tout au long de ma vie, je crois que le premier, j’avais huit ans suite à de nombreuses hospitalisations où on ne trouvait jamais la cause, pourquoi ça n’allait pas, avec quand même des choses importantes, puisque j’ai fait des convulsions, on a pensé à une méningite. Je me retrouvais avec des fièvres énormes, et jamais on ne trouvait ce que j’avais. On a mis pendant longtemps le fait que je sois hypersensible.
Et oui un parcours de santé compliqué avec 17 fractures avec 21 interventions chirurgicales. À chaque fois, j’étais l’exception qui confirmait la règle, on ne comprenait pas et le décalage que je ressentais en interne était énorme, et donc quand j’allais chercher les réponses pour comprendre.
J’avais besoin de comprendre pourquoi j’étais en décalage et bien on me disait pendant très longtemps que j’étais hypersensible, ensuite on m’a dit que j’étais au potentiel, donc ça, ça a été soulevé, par un psychologue quand j’avais 30 ans et jamais on ne me parlait d’autisme, jamais.
Et c’est complètement par hasard, en cherchant à comprendre ce haut potentiel que j’ai découvert sur Internet des femmes qui témoignaient d’un autisme dit Asperger et que j’ai commencé à me reconnaître et à me dire, mais mince, mais c’est ça, mais je suis ça ? Mais non, ce n’est pas possible, ce n’est pas ça l’autisme. En tout cas, ce n’est pas la représentation que j’en avais…
Mon décalage ne vient pas du Haut Potentiel Intellectuel
Et en creusant, eh bien oui, ça devenait une évidence pour moi, donc j’ai été me faire diagnostiquer sur Paris et là, le diagnostic est tombé après donc avoir été testé sur du HPI où on me disait « Oui, votre décalage vient du HPI, c’est normal, vous comprenez mieux que les autres ». Alors qu’en fait ça m’induisait complètement en erreur, puisque justement, non, je ne comprends pas mieux que les autres, je comprends autrement, je perçois, je ressens et je traite l’information cognitivement différemment.
Et notamment dans le cadre complexe de l’autisme. Voilà donc j’ai en découvrant cet autisme, en me faisant diagnostiquer et finalement, en mettant en lien toute la connaissance que j’avais pu comprendre de mon côté, plus ce que les psychologues spécialisés, et puis, après tous les médecins que j’ai pu rencontrer les psychiatres spécialisés en autisme ont pu m’expliquer de mon handicap. Enfin, j’ai pu comprendre qui j’étais.
J’ai pu comprendre mon mode d’emploi. Donc voilà qui je suis : une femme qui a vécu complètement en décalage de ce que j’étais toute ma vie et qui ne comprenait pas. Aujourd’hui je comprends, et aujourd’hui je suis apaisée.
Marie-Laure : Merci Sonia. On a bien compris en effet que cet autisme, qui a été masqué par le haut potentiel intellectuel, a fortement influencé toutes les expériences que vous avez vécues. Est-ce que vous pourriez nous expliquer un peu plus cette double exceptionnalité, et surtout nous donner quelques exemples concrets de son impact sur votre quotidien, par exemple, au travail ?
Sonia Fiquet : Oui, L’autisme, c’est avant tout une réalité organique. C’est-à-dire une manière de percevoir l’information de manière dérégulée, donc ça peut être soit trop intense, soit pas assez intense et donc du coup des problèmes d’intéroception c’est-à-dire, que je n’ai pas les bons capteurs non plus pour savoir où j’en suis de ma santé physiologique et tout ça va amener m’amener à me construire en fonction de mes propres représentations internes qui sont faussées.
L’autisme, c’est donc des problèmes de neurotransmetteurs qui ne donnent pas la bonne information au cerveau qui vont faire que l’information arrive en paquets dans mon cerveau de manière très forte, très intense et dans mon corps aussi.
Et donc un trouble des fonctions exécutives, c’est-à-dire qu’il y a un problème de synchronisation des synapses. L’information ne va pas au bon endroit n’est pas triée correctement, donc une hyperactivité cérébrale constante qui m’oblige à une métacognition constante. Donc la métacognition, c’est le processus de se voir faire. Je suis obligée de trier – j’allais dire manuellement – mentalement l’information.
Donc de la ranger dans des cases, de la trier comme ça, de me faire cette base de données. Donc vous imaginez une information constante, très forte qui m’impacte émotionnellement, qui m’impacte en termes de fatigue, puisqu’il faut que je trie cette information-là, et si je veux être raccord avec les autres, il faut que j’aille à la vitesse des autres, ce qui n’est pas ma vraie vitesse. Puisque j’ai besoin de ce double traitement qui m’amène à faire des liens qui ne sont pas forcément les bons.
Et tout ça je ne le savais pas. Je vis dans mon monde sans voir que je ne sais pas créer le lien, alors que je communique bien. Donc du coup, personne ne peut voir que j’ai cette problématique, et en premier lieu moi-même.
Si on m’explique pas tout ce processus-là, j’ai l’impression d’être agressée par les autres alors qu’en premier lieu, ce sont mes sens qui m’agressent, c’est ma manière de traiter l’information qui m’agresse et je n’en ai aucune lucidité tant qu’on ne me l’a pas expliqué.
C’est ça l’autisme, c’est être coincé dans son monde, sans savoir que nous sommes coincés dans notre monde.
Et je vibre en fonction de mes centres d’intérêt et j’adore ça, je suis capable de ne pas manger, je suis capable d’être focus sur un truc, de ne pas entendre mes enfants qui me demandent quelque chose, de ne pas entendre mes collaborateurs, de ne pas entendre alors qu’ils me disent les choses. Je ne les entends pas, et les autres pensent que je le fais exprès ou que je n’ai pas envie de les entendre, alors qu’en fait ce ne sont pas mes intentions, mais tout est en décalage.
C’est une incompréhension totale de part et d’autre, et donc forcément ça donne des dysfonctionnements dans la communication. C’est ça l’autisme.
Marie-Laure : Oui, et c’est important ce que vous dites « de part et d’autre », c’est-à-dire que vous pouvez vous sentir agressé par des choses qui ne sont pas forcément malveillantes, et puis et puis réagir d’une façon que vous pensez appropriée dans un contexte où ça ne l’est pas du tout finalement.
Sonia Fiquet: Oui. Parce que l’autisme, en fait, j’ai tellement de choses à trier, que je ne vais pas mettre les bonnes valeurs sur les choses. Sans le savoir.
Par exemple – j’aime bien donner cet exemple : mon patron rentre dans la pièce, il fait la gueule. Et comme je me réfère toujours à ma propre expérience, puisque je ne comprends pas bien le monde forcément, je suis en autocentrage, je me dis « Mais qu’est-ce que j’ai mal fait ? »
Alors qu’en fait il vient simplement de se coincer l’orteil dans une porte, ça n’a rien à voir avec moi. Mais moi, quand je vois son expression, que je la décrypte – comme je n’ai pas les bonnes références, les bons codes – je le ramène à moi et ça devient anxiogène.
Marie-Laure : Est-ce que ce sont ces difficultés dans le travail avec les autres au départ qui vous ont amené à devenir entrepreneur ?
Sonia Fiquet : Alors il y a plusieurs choses. Il y a le fait que je sois née de parents entrepreneurs, donc c’est aussi mon modèle des parents, commerçants, artisans. Et effectivement, j’ai cette fibre entrepreneuriale.
Être autiste, c’est souvent avoir une grande créativité, une vision décalée
Mais il y a aussi autre chose qui était camouflé derrière tout ça. Quand on est autiste, c’est aussi notre force, on va avoir une grande créativité, on fait des liens, on a une vision des choses qui souvent est en décalage avec les autres. Donc finalement, si l’on veut faire passer notre vision, ça va être plus simple de la passer nous-mêmes que d’essayer de la faire passer par une entreprise où il y a déjà une autre vision.
Quand je rentrais dans des structures, j’avais beaucoup de mal à intégrer la vision de l’entreprise. J’arrivais avec mes propres forces en disant « On peut faire si, on peut faire ça » mais du coup c’était souvent « ah, c’est génial, tout ce que Sonia l’amène dans l’entreprise. » Et puis, à un moment, moi, je n’étais plus d’accord avec ce qu’ils en faisaient et eux n’étaient plus d’accord sur ma manière de le faire, parce que je ne prenais pas en compte leur propre positionnement. On ne parlait plus le même langage.
Et puis, il y avait aussi… me confronter au travail en équipe.
Quand on n’a pas les codes. Alors, parce que mon cerveau qui ne s’arrête pas, donc je me souviens, j’arrivais en mission locale et j’étais déjà dans les dossiers « oui, il faut dire ça à untel, il faut faire ça, etc. » et donc j’arrivais à l’accueil et je ne disais pas bonjour.
Je disais « Bon, alors sur ces dossiers, on va faire ci, on va faire ça, j’ai pensé que tel jeune, il faut le rappeler, etc. » Et les autres prenaient ça comme de l’autoritarisme, comme des directives. Et puis Sonia elle fronce les sourcils, elle ne dit pas bonjour, etc.
Ils ne pouvaient pas voir que j’étais déjà partie en fait, et c’était par manque de respect pour eux, c’était juste que j’étais sur autre chose et je n’en avais aucune conscience, et comme je ne savais pas établir le lien relationnel.
Je ne voyais pas que quand je ne respectais pas ses codes, eh bien, de moi-même, je me mettais en marge d’un travail collaboratif, d’un travail d’équipe.
Marie-Laure : Oui, forcément, et sans le sans le vouloir.
Sonia Fiquet : Aucune intention d’écraser les autres, et quand les autres me renvoyaient cette image « Elle est hautaine, elle est pédante, elle est crâneuse, elle est directive, elle est autoritaire » ça me blessait parce que moi, ce n’était pas du tout ça que je voulais. Je ne comprenais pas qu’on me renvoie ça, donc ça me renforçait dans mes rigidités.
Marie-Laure : Je comprends mieux. Parce que, vous avez vécu de longues années sans avoir connaissance de votre autisme puisque vous avez été diagnostiquée il y a trois ans et j’ai pensé que cette découverte, avait été un choc pour vous, mais finalement, vous parlez d’apaisement. Vous avez finalement acquis de la compréhension.
Sonia Fiquet: Mais oui, parce qu’à chaque fois j’analysais ce qui se passait et je me disais « Pourquoi arrivent-ils à penser ça de moi », je ne comprenais pas. Ce n’est pas ce que je voulais passer donc je ne comprenais pas et plus j’essayais d’expliquer aux gens, et moins ils comprenaient. Que je ne parlais pas le même langage, que je pouvais être coincé dans des compréhensions littérales, que je manquais de vision globale, que je voulais imposer mon rythme, ma manière de voir ma manière de faire.
Je ne comprenais pas
Donc je ne comprenais pas. Et quand ça se passe au niveau du travail, je me dis « c’est les autres ». Mais quand ça se reproduit dans vos relations amoureuses, vos relations avec vos enfants, vos relations avec vos parents, avec vos frères, avec vos sœurs… à un moment, vous vous dites « Mais pourquoi ne me comprennent-ils pas ? C’est quoi le problème ? »
Quand on vous renvoie une image négative de vous, vous vous dites: « Mais c’est dingue ça, moi je suis la générosité en barre. J’aime les autres, j’ai envie d’aller vers les autres, pourquoi ça ne marche pas ? »
Je ne sais pas prendre en compte le point de vue de l’autre
Donc oui, quand on m’explique qu’il y a plein de choses que je ne vois pas, que je ne sais pas prendre en compte le point de vue de l’autre, alors que je suis persuadée de le faire au quotidien, parce que je suis dans la suradaptation à toujours voir les autres, à essayer de les décrypter, de les comprendre. Je suis bien là-dedans dans cette envie de comprendre l’autre, et en fait je suis incapable d’intégrer le point de vue de l’autre.
Intégrer le point de vue de l’autre, par exemple, c’est, j’aime bien prendre cet exemple, je le trouve très parlant.
Pour les 30 ans de ma fille, je fais un PowerPoint où je mets des photos d’elle. C’est une surprise, donc je ne demande pas son avis et je prends des photos d’elle quand elle est bébé, quand elle est bien grosse, quand elle a son appareil dentaire quand elle pleure… des photos qui, moi me parlent.
Et quand je balance ça devant tous ses amis, à 30 ans, donc des amis de longue date, mais aussi des amis à elle dans le cadre de son travail, des choses comme ça, qu’elle vient me voir après, en me disant: « Mais Maman, mais tu te rends compte de ce que tu as fait là ? tu mets mon intimité comme ça, toute ma vie ! », je ne comprends pas.
J’ai fait ça pour lui faire plaisir, j’aurais aimé qu’on le fasse pour mes 50 ans, voyez comment je me réfère, et donc je ne comprends pas, je me dis « Elle est ingrate avec tout le boulot que ça m’a demandé d’aller chercher des photos ». Je ne comprends pas que je la gêne.
Je n’arrive pas à intégrer son propre point de vue et c’est parce que je travaille dessus que j’applique ma méthode que oui, je shifte et je me dis « oui, si Sonia, tu ne lui as pas demandé son avis. Il y a des photos intimes qui peuvent la blesser, je n’ai pas vu comment je pouvais l’imaginer ».
C’est ça, ne pas savoir intégrer le point de vue de l’autre. Et j’ai mis 53 ans à le comprendre.
Marie-Laure : Et donc aujourd’hui, avec les techniques de communication interpersonnelle que vous avez apprises, vous y parvenez mieux.
Sonia Fiquet : Oui, par exemple, dernièrement, j’ai écrit un article sur l’autisme de mon fils. Donc j’écris l’article, et je me dis: « Sonia applique la méthode. »
Donc, qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis dit : si quelqu’un écrivait un article sur toi est-ce, que tu aimerais le découvrir comme ça ou c’est des choses intimes ? Donc je suis allé voir mon fils, je lui dis : « Voilà, j’aimerais écrire un article sur toi, sur ton autisme, je pense qu’il peut aider des familles pour ça, pour ça, j’aimerais que tu le lises et que tu me dises ce que tu en penses ». Il a lu, et il y a une phrase en particulier, il m’a dit: « Non, celle-là, je ne veux pas que tu la mettes. Pour le reste, oui, ça peut aider des familles, donc oui, j’accepte ».
Être capable de comprendre l’opinion de l’autre
Le lien relationnel, c’est être capable de comprendre l’opinion de l’autre, son positionnement, et c’est tout ce qu’on apprend dans la formation.
Marie-Laure : Justement, puisqu’on parle de formation, vous avez essayé pas mal de métiers, mais je crois qu’un de vos premiers, et le métier que vous faites actuellement, vous êtes formatrice en communication.
Sonia Fiquet : Formatrice en compétences sociales, relationnelles. En fait. Oui, je me suis formée très jeune au métier de formateur, mes premiers postes de formatrice, j’avais 26 ans 27 ans.
J’ai confirmé par un Bac+4 en ingénierie pédagogique à 39 ans, donc je suis intervenue toute ma vie, j’ai coordonné le Greta, J’intervenais sur les formations à l’AFPA, des conseillers d’insertion professionnelle en compétences sociales et relationnelles, donc j’enseignais la communication relationnelle.
C’est ça le plus drôle, c’est que j’ai passé ma vie à expliquer aux autres comment bien communique avec toute une partie qui me manquait. J’étais coincée sur la compréhension littérale. Les principes, je savais les expliquer et les autres les appliquaient, ça marchait bien. Sauf qu’il y avait toute une partie à laquelle je n’avais pas accès.
Et c’est en découvrant mon autisme que j’ai pu revisiter cette formation et me dire, mais mince, ça fait 25 ans que tu enseignes quelque chose de manière très littérale en n’ayant pas pris en compte tout un tas d’indicateurs. J’ai donc retravaillé la méthode aux principes relationnels que j’enseignais en réintégrant tout le handicap.
Et finalement en m’apercevant que les principes, les processus de logique que j’avais mis en place, je le retrouvais chez les personnes qui avaient ignoré leur handicap, qui ont mis des processus compensatoires. On s’aperçoit que ce sont les mêmes, et que cette formation, elle permet aux personnes de comprendre le vrai handicap qui les impacte.
Cette formation apporte plein de choses. Elle permet aux personnes de comprendre les vrais processus concernant la communication relationnelle qui sont valables pour tout le monde de pouvoir voir à l’intérieur de ces processus.
HPI/TSA : Mode d’emploi
Marie-Laure : Donc Sonia, vous nous parlez de votre formation HPI/TSA : Mode d’emploi que vous expérimentez déjà depuis plusieurs années. Quelle est la finalité de cette formation exactement ?
Sonia Fiquet : De vivre en harmonie avec soi et avec les autres c’est-à-dire, d’arrêter de se suradapter, mais de comprendre le handicap qui nous impacte au quotidien
Pour vivre en respect de notre mode de fonctionnement qui est particulier mode de perception, mode de ressenti et modes cognitifs. Quand on se connaît, bien, on va pouvoir se positionner dans la relation aux autres en partant de soi, on vise vraiment l’autonomie de la personne, c’est-à-dire de ne plus subir, mais de choisir ses interactions et de les vivre et de savoir l’expliquer aux autres. Vivre vraiment, c’est le mot, vivre en cohérence avec soi et avec les autres.
Marie-Laure : D’accord, donc cette formation, elle s’adresse aux personnes qui ont un HPI et un TSA, aussi bien les enfants que les adultes ?
Sonia Fiquet : Alors ça s’adresse à tout le monde, mais effectivement, je ne forme que des adultes, voire des ados quand ils sont bien avancés. Mais je forme les parents de personnes HPI/TSA.
Parce que si les parents sont formés, ils vont pouvoir former leur enfant au quotidien par des petites touches, petit à petit, et permettre à l’enfant de se construire. Justement pas comme nous, on s’est fait en opposition, dans le mode « combat » avec toutes les mauvaises expériences qu’on a pu vivre. Mais justement en leur expliquant petit à petit le positionnement, comment ils doivent partir de s’écouter, la relation au corps, la relation aux émotions, bien de pouvoir grandir de manière beaucoup plus harmonieuse, finalement que d’être dans le noir.
Marie-Laure : En fait, vous leur donnez les clés avant qu’ils les trouvent tous seuls à 51 ans ?
Sonia Fiquet : Exactement. Donc on travaille avec tout public. On travaille avec les parents, on travaille avec les personnes concernées, on travaille avec les managers, les chefs d’entreprise, et maintenant on est en train aussi de former des formateurs à la méthode parce que je ne peux pas être toute seule à former. Surtout que ce sont des formations individuelles où on est toujours en one-to-one.
Une pensée en image
Parce que la particularité des personnes autistes, c’est que nous avons une pensée en images et qu’il faut que je m’assure quand on passe le contenu de l’information, que la personne ait la bonne image par rapport à ce qu’on est en train de lui donner.
Par exemple, si vous parlez de créneaux d’activité et que la personne, elle, pense qu’on parle de créneaux horaires, on ne parle plus de la même chose.
Donc il faut s’assurer à chaque fois de la compréhension. C’est pour cela que nos formateurs eux-mêmes sont passés dans le programme, ce ne sont que des personnes HPI et TSA, c’est à dire qui ont vécu de l’intérieur le dysfonctionnement. Ils en ont pris la lucidité et ils appliquent la méthode eux-mêmes tous les jours au quotidien. Et ils vont transmettre la méthode en prenant en compte justement toute la difficulté de la compréhension littérale, de la cécité contextuelle, de nos modes particuliers du traitement de l’information.
Marie-Laure : Alors, cette formation fait l’objet en ce moment d’une campagne de crowdfunding sur la plateforme Leetchi. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? À quoi sert ce financement ?
Sonia Fiquet : Alors, ce financement va nous permettre d’investir pour rendre cette formation accessible au plus grand nombre, ça veut dire qu’elle soit prise en charge financièrement.
Aujourd’hui, ça a un coût de mettre un formateur en face à face devant chaque personne. Il y a un suivi sur 22 semaines au quotidien, donc vous imaginez, c’est assez lourd, financièrement. D’autant que les intervenants, il faut les payer correctement. On ne les paye pas au SMIC, nous, les formateurs, ils sont dans la case de la convention des formateurs. Ce sont des gens d’expérience.
La certification, ça veut dire aller chercher cette certification auprès de France Compétence. C’est l’organisme national qui va donner la certification, et donc quand la formation elle est certifiée, elle peut être prise en charge par le CPF, par ce qu’on appelle les OPCOs, les opérateurs de compétences pour les salariés.
Marie-Laure : Pour les chefs d’entreprise, également.
Sonia Fiquet : Exactement. Aujourd’hui nous, on a fait déjà obtenu le fait d être Qualiopi. Notre organisme de formation est reconnu pour la qualité de ce que nous proposons. On respecte tous les codes de la formation professionnelle.
Mais la formation, si on veut qu’elle soit prise en charge, il faut qu’elle soit certifiante, et ça veut dire un bureau d’étude qui travaille avec nous pour transformer tout ça en ingénierie pédagogique.
Même si c’est ma compétence, ça reste quand même un travail qui est lourd et qui représente à peu près 3.500€ (c’est 1.500€/jour) par formation.
Sachant que l’on veut faire valider la petite formation, le programme d’accompagnement et la formation de formateurs. Donc déjà là, c’est 10.000€.
Et ensuite, ça veut dire qu’il faut former des formateurs parce qu’il faut la rendre accessible à tout le monde. Si demain on est certifié, il faut des formateurs partout en France et dans les DOM-TOM.
J’ai aussi des gens qui me téléphonent de Guyane. Là, j’ai un Monsieur de Guyane, j’ai un monsieur de la réunion. Vous voyez, donc il faut qu’on ait sur place des gens qui soient en capacité, il faut les former.
Il y a aussi bien toute la visibilité qu’on peut donner. Si les OPCOs ne nous connaissent pas, France Travail ne nous connaît pas… Ça veut dire des gens sur place qui vont expliquer ce qu’on fait, comment on le fait.
Ça veut dire, passer de ce petit côté artisanal aujourd’hui où l’on est deux formateurs, une chargée de relation en stage et une chargée de qualité en externe. Une autre dimension de l’entreprise.
Alors pourquoi ne fait-on pas de crédit ?
Parce que je suis une personne autiste qui a été confrontée à plein de choses dans sa vie, et notamment avec un dossier de surendettement. Donc je n’ai plus accès au crédit aujourd’hui, je n’ai pas le droit, même si mon entreprise se développe, je suis dans ce qu’on appelle l’incapacité à faire un crédit personnel. Et l’entreprise a déjà emprunté pour investir sur plein de choses, donc je suis dans une phase qui s’appelle la capacité d’autofinancement, ce n’est pas plus.
Voilà pourquoi j’ai besoin de faire appel à ce crowdfunding et je trouvais que c’était juste parce que le crowdfunding, c’est la solidarité, c’est finalement demander, pas beaucoup, 10€‚ 15€. Et en échange, j’offre mon livre qui est en vente à 20€ sur les plateformes.
Donc, vous voyez, c’est un vrai change avec les gens. Ils ont accès aussi à tout le travail que je mets en commun sur mes plateformes, notamment du tube de façon gratuite.
Moi, je vous donne d’un côté, et bien donnez-nous de l’autre pour nous permettre de rendre accessible au plus grand nombre, parce qu’on sait les résultats qu’on a avec cette formation, c’est juste.
Marie-Laure : Oui, c’est juste et c’est même super important ! Je mettrai les liens pour participer à la plateforme Litchi dans le commentaire de ce podcast.
Marie-Laure : Comme je sais que vous êtes comme moi passionné d’écriture, je ne résiste pas à vous poser quelques questions sur le sujet, vous êtes conférencière et auteur d’un livre autoédité. Je rappelle son titre : « La vie presque ordinaire d’une femme HPI/TSA, ces autistes que personne ne voit ». Je l’ai lu, c’est un témoignage touchant, troublant même je dirais avec des passages assez durs.
Pourquoi est-ce que c’était important pour vous d’écrire ce livre ?
Sonia Fiquet : Alors il faut savoir que ce livre j’ai commencé à l’écrire, j’avais 30 ans. J’ai commencé à raconter ma vie, j’avais 30 ans. Je ne savais pas pourquoi je l’écrivais, mais je savais qu’il fallait que je comprenne. À travers ce livre, j’essayais de comprendre en fait pourquoi ça se passait comme ça, je notais tout ce qui se passait.
Quand je découvre mon autisme, ce livre je l’ai nourri pendant 23 ans, petit à petit. Et donc, quand je découvre mon autisme, je relis ce que j’ai écrit, et là, je comprends et là je me dis : il faut que les gens sachent comment je l’ai vécu de l’intérieur.
Il faut que les gens sachent comment je l’ai vécu de l’intérieur
Il faut que vous compreniez la violence. Oui, il y a des passages qui sont durs, parce que ma vie, ça a été tout lourd sur une corde raide, à savoir si j’allais me foutre en l’air ou pas !
Et donc, quand je commence à écrire, j’ai 14 ans – le livre qu’à partir de 30 ans. Mais mon rapport à l’écriture, c’est ma capacité de sortir de mon cerveau, toutes ces idées noires, toute cette solitude que je n’arrive pas à partager avec les autres.
Les autres ne me voient pas dans ma solitude, je suis une personne joyeuse, je suis tout le temps dans la suradaptation. Donc il voit une personne un trublion-là qui est tout le temps en train de s’agiter, qui arrive dans les groupes, qui raconte sa vie qui repart.
Jamais, je ne parle de moi
Mais en fait, jamais je n’exprime ce que je ressens, je ne parle que de ce que j’apprends. Je suis Madame-je-sais-tout, on m’appelle « la savante » dans la famille, « Arrête de nous écraser avec ton savoir », car j’ai toujours une définition à donner et j’ai toujours une explication aux choses. Mais jamais je ne parle de moi.
Dans les écrits, je commence par des poèmes, des poèmes où j’exprime cette solitude.J’exprime ce malaise de cette petite fille qui ne sait pas ce qu’elle fout là ?
Quand je vais divorcer de mon premier mari, je vais avoir une période où j’écris, j’écris des textes, des textes… des textes où je fais mon épitaphe !
J’ai écrit des textes où je fais mon épitaphe !
Parce que je suis à ça de me dire « mais finalement, tes enfants, ils seraient plus heureux sans toi, tu poserais moins de problèmes, tout le monde serait plus heureux sans toi. »
Marie-Laure : Donc finalement, l’écriture a un rôle thérapeutique.
Sonia Fiquet : Complètement. Aujourd’hui, c’est autre chose. L’écriture, c’est ce bouillonnement intellectuel qui n’arrête pas.
Parce que l’autisme, c’est ça, c’est des idées qui viennent tout le temps, tout le temps, tout le temps.
Il faut qu’à un moment je les pose sur le papier, il faut que je les sorte, j’ai un message à délivrer au monde qui est beaucoup plus raisonnable.
Mais oui, et ce message, c’est toutes ces années d’incompréhension parce que je vois ce monde qui se déchire, parce que je vois ce monde qui ne se comprend pas, vous verrez l’article que je mets sur l’inquiétude, qui s’appelle la différence ou le « petit truc en plus ».
Bien sûr, j’ai repris, de ce film d’Artus qui m’a beaucoup parlé et on pourrait tellement vivre eux tous ensemble.
Mais vraiment, chacun va poser des intentions sur les autres, qui ne sont pas les bonnes, et donc ma mission de vie aujourd’hui, c’est vraiment d’expliquer comment on pourrait vivre beaucoup les uns avec les autres.
Marie-Laure : Il y a un travail à faire, oui, je suppose, du côté des personnes autistes pour comprendre leur fonctionnement et comprendre l’impact qu’elles ont sur le monde, et puis également du côté des personnes non autistes pour intégrer que tout le monde n’est pas pareil.
Sonia Fiquet : Mais je crois que ça va au-delà de ça. Je suis une spécialiste de la communication relationnelle. Tout le monde n’est pas autiste, on est d’accord, mais les traits autistiques ressortent de plus en plus dans cette société d’opposition, de rigidité, de repli parce que la peur de l’étranger, la peur de ce monde qui change, des codes qui ne sont pas les mêmes.
Enfin, j’ai toujours eu une vision géopolitique et je pense qu’aujourd’hui l’autisme et c’est le second livre que je suis en train d’écrire : l’autisme, cette nouvelle humanité.
L’autisme, cette nouvelle humanité
Je pense que nous avons beaucoup à apprendre des personnes autistes qui perçoivent ce monde de manière intense, mais c’est la réalité de ce qui est en train de se vivre. Ce monde qui est de plus en plus intense, ce monde d’hyperconsommation, ce monde de vibration, de trop, de trop, partout.
Ce monde où on a oublié l’essentiel. Et l’essentiel, c’est de vivre en harmonie les uns avec les autres. On fait des études, on ne sait même plus pourquoi on fait des études ? On fait des études pour gagner sa vie pour me payer une belle maison, mais pourquoi tout ça ?
On a oublié l’essentiel
Et on a oublié l’essentiel: Vivre apaisé, en harmonie les uns avec les autres, et ça, c’est pour tout le monde ce message. Et c’est là-dedans que moi, je pense que l’esprit des personnes HPI/TSA donc des gens qui ont une grande créativité, c’est participer à la création d’une humanité plus apaisée.
Je m’autorise à avoir cette vision-là.
Marie-Laure : Vous avez raison, il faut. Merci beaucoup pour ce partage. Je reste un peu sans voix de cette fin d’interview. Sonia, je vais vous laisser le mot de la fin si vous voulez conclure sur cet échange. Merci beaucoup pour ce moment qu’on a passé ensemble cet après-midi.
Sonia Fiquet : Oui, le mot de la fin, j’hésitais parce que moi j’ai envie d’en mettre quatre. En France, on est le pays des droits de l’homme : liberté, égalité, fraternité. On a oublié ce que c’était.
Liberté, liberté d’expression. Égalité, c’est la différence, c’est tout le monde, tout le monde pareil. Peu importe qu’on soit gros, petit, noir, jaune, handicapé, pas handicapé, sexué ou homosexuel. Peu importe. On a tous le droit au respect, quel que soit ce que l’on est, il ne faut pas l’oublier.
Fraternité, c’est l’amour, c’est le quatrième mot.
Il faut remettre de l’amour dans tout ça
Il faut qu’on s’aime les uns les autres, c’est ça qui manque dans le monde aujourd’hui.
Arrêtons de critiquer les gens. Arrêtons, quand on dit « mettre dans les cases, ils veulent être autistes, HPI, c’est pour mettre dans les cases » mais non, mais non, c’est pour comprendre comment je fonctionne, parce que quand je comprends, je peux mieux m’aimer et quand je m’aime, moi je peux aimer le monde.
Il faut remettre de la valeur sur les choses, et on part de nous, c’est parce que maintenant je me comprends que je m’accepte avec mes plus avec mes moins avec mes troubles des fonctions exécutives, avec mes peurs, mes excitations, c’est parce que je m’aime que je peux donner cet amour aux autres. Aimez-vous pour aimer le monde. Le monde a besoin de ça.
Arrêtons la critique, arrêtons l’opposition, c’est facile et ça ne sert absolument à rien. Arrêtons cette guerre d’idées.
Composons ensemble.Je crois que c’est ce qu’on nous dit en ce moment, il va falloir composer ensemble.
C’est mon mot de la fin. Il faut composer ensemble.
Pour en savoir plus sur Sonia Fiquet :